LiveReport : Crocodiles + Eut / Laiterie / Strasbourg / 12.02.19

EUT (NL)  – 20h00

Le pronom personnel hollandais qui fait Pop’

20h00 pétante, les lights s’éteignent et la première partie de la soirée se présente à un Club de la Laiterie encore en mouvement et clairsemé. Eut, Jeune Quintet européen au nom obscure mené au chant par la menue et énergique Megan de Klerk. Un groupe frais dans tous les sens du terme puisque le band d’ex-étudiants en Art a connu le jour tout juste en 2016 du côté d’Amsterdam. Après avoir tourné dans leur pays et ceux voisins en 2017, c’est notamment après les shows de L’Eurosonic Nooderslag (genre de SXSW à la mode Batave) et chez nous du côté de l’excellente plateforme défricheuse de talents qu’est les Trans-Musicales de Rennes en 2018, que le groupe a commencé à se faire connaître sur le plateau européen et est devenu l’un des petits noms à suivre de la scène indé’ actuelle.

Le groupe hollandais a par ailleurs pu bénéficier l’année dernière d’une belle mise en avant à l’occasion de la diffusion d’un de leur titre lors d’une publicité d’un des géants du streaming musical actuel, Deezer. Propulsant légitimement le titre bien ficelé et catchy Bad Sweet Pony au rang de tube actuel du groupe et de leur album Fool for the Vibes au même titre que l’autre single, Supplies. Deux titres qui furent bien évidemment joués ce soir là. Des titres Lives qui bénéficieront comme les versions Studios d’un passage pendant le Chorus au Vocoder. Si sur disque cela fonctionne bien, notamment en lien avec les nappes de synthés bien 80’s. Le rendu n’est pas optimal avec le mix sur scène ce soir, légèrement dissonant. Mais c’est aussi là, l’originalité du groupe, ce côté « Glitch », à vouloir mélanger l’analogique et le numérique et chercher à casser certains codes pour ne pas tomber dans la refonte d’une Pop-Rock vue et revue. Une musique aussi teintées des 70’s et parsemés de claviers comme sur le single Sour Times.

Caractéristiques de ce début de set, frais mais à couteaux tirés avec la sensation d’un groupe voulant presque trop bien en faire. On a été surpris aussi par le volume, ça joue fort et le tout dénote de ce qu’on avait pu entendre sur les plateformes audio. Bon, le mix n’a pas aidé,  l’aspect général et la qualité des lignes mélodiques qui transparaissaient sur l’album ont perdu de leurs superbes sur les premières chansons. Ce qui n’a malheureusement pas mis en avant la superbe voix de Megan, noyée dans le Bassman et qui pourtant, ne manque pas de coffre et de nuances. Un peu la même sensation que l’on avait eu un fameux soir lors des Eurockéennes il y a quelques années avec Foxygen. Dans l’interrogation, l’attente d’une bascule mais avec une curiosité toujours palpable.

Les minutes passent et on se rassure rapidement. Plus à son aise et sous la chaleur des spots, Megan tombera son large manteau et commencera à se dandiner avec plus de présence et d’aisance sur scène. Après un premier quart d’heure en mode sensation « potards à fonds » avec un combat d’amplis Fender se rétorquant et mettant en avant une face cachée (presque insoupçonnée) Punk du groupe, poussant les Trebles jusqu’aux limites de hauteur des cordes vocales de la chanteuse. On est passé  (merci et l’ingé-son qui l’a bien compris et a adapté en conséquence les choses) à un meilleur équilibre et un set franchement agréable ou là, l’harmonie du groupe s’est ressentie et ou les guitares n’ont pas noyées cette touche Pop mélodique du groupe comme sur le titre Dusty Old Me, qui jailli d’un bloc.

La fluidité est là, l’équilibre aussi et la finesse qu’on avait envisagé s’engage. Comme sur le Hit Supplies dont les rythmes « Looses » et « Glitchys » tendent vers une Pop-Psyché joyeuse et faussement monotone à l’instar de ce que peuvent faire le Collectif SuperOrganism (cette Glitch-Pop se retrouve d’ailleurs dans le Clip par ailleurs). Sans surprises, on aura donc largement préféré cette deuxième partie de set qui bénéficiera d’un mix bien plus maîtrisé dans l’ensemble avec une belle montée finale et des titres plus dansants et des guitares qui naviguent enfin sur la voix de Megan dont les notes se dévoilent au fur et à mesure de la soirée comme les grattes matchés du binôme guitaristique.

Une montée aussi pour le bassiste qui, tapis dans l’ombre entre sa 4 cordes et ses claviers viendra directement sur le devant de la scène prendre l’espace et son aise pour un Jam final dont les lignes de basses furent assez savoureuses. On aurait aimé le voir plus ! Mention spéciale pour la piste Dygo Rex qui est sublimée sur scène et lève le voile sur les prétentions possibles des néerlandais. Dont le gros atout est bien évidemment Megan et sa sensualité vocale indéniable.

Un set de 45 minutes malheureusement assez inégal donc mais qui se termine sur de très belles notes avec une montée crescendo en puissance et en aisance. A l’instar du nom du groupe, EUT. 3 lettres, simple, catchy, sans chichis est un groupe avec un capital sympathie déjà présent, des talents d’écritures mélodiques à n’en pas douter. Un réel potentiel.

Des saveurs qui peuvent dérouter les puristes Rock bien évidemment, mais qui ne surprendra pas dans le parti pris ceux qui suivent la scène actuelle (on pense à Findlay ou Soccer Mommy). Même si sur les planches, Eut est résolument plus Rock et Vintage qu’il peut y laisser présager dans les enregistrements studios, ce qui n’est pas pour nous déplaire, loin de là. Une agréable surprise au final.Pour les amoureux d’une Pop fraiche et d’un Rock aventureux ne faisant pas fi des mélodies, entre l’Art-Pop européenne et aérienne et le Rock indé’ à guitares qui veulent exister et qui tendent à servir cette les vocals quand elles ne l’écrase ntpas (Courtney Barnett reine du style avec l’ami Kurt Vile en tête de liste bien évidemment). On ne doute pas qu’on retrouvera les hollandais dans quelques festivals chez nous les étés prochains.

Crocodiles (USA)

Marécages alsaciens pour reptiles californiens

21h00 sonne, démarrage poussif après quelques minutes de flottements ou le groupe échange avec l’ingénieur son (décidément !) et des membres de l’audience. Dans une salle de la laiterie qui commence à se serrer et se masser dans la pénombre pour accueillir les californiens (enfin tous ne le sont pas). Puisque pour cette tournée, le duo se dédouble et propose un format Quatuor Rock avec un Guest bien connu ici. Beaucoup de locaux ce soir et de proches des Label Deaf Rock (forcément), mais aussi d’October Tones venus voir aussi « El famoso » Rachid Bowie en Guest, officiant à la basse à l’occasion de cette tournée hivernale française.

Love Is Here, la septième (déjà!) et dernière galette des boys de San Diego vient de sortir (08 février) et cette date Strasbourgeoise à un doux parfum de match à domicile. En effet les deux bro’ viennent aussi y célébrer la sortie de leur premier disque avec le label indépendant basé dans la capitale alsacienne, Deaf Rock Records dont le roster embelli chaque année. Mieux, le groupe est en résidence et se fait les dents à la Laiterie depuis quelques jours avant de partir sur les routes hexagonales pour présenter l’album.

Après quelques minutes de retards sur le planning, on retrouve donc dans la brume les silhouettes de Charles Rowell et de Brandon Welchez, les deux amis ne sont pas venus seuls et sont en terrain presque déjà conquis. Look mi-blouson noir, mi-costume 2 pièces, cheveux gominés pour l’un, lunette de soleil pour l’autre. Au fond de la scène, l’efficace et métronomique batteur fait discrètement son office dans la pénombre, laissant apparaître timidement son visage selon l’évolution des lumière à travers un kit batterie minimaliste, genre musical oblige. On allait pas trimballer un kit 70 éléments façon groupe de prog’, logique. Atef aka Rachid Bowie le local de l’étape, gardera le cap à la basse et sera d’une part bien audible mais à l’aise dans son rôle le long de la soirée. Timonier de la rythmique se dandinant horizontalement et gardant un regard sur Brandon.

S’accaparent les micros sur scène, les compères démarrent un set tgv en claquant une corde dès la première chanson et en déjouant de malchance avec un micro mal calibré Rock’n Roll ou rien, on déroule et entre une légère pause « switch de Telecaster », Charles en chef opérateur délivre sur la droite de la scène la couche grasse du mur shoegaze Made In Crocodiles. Pilote du vaisseau en soutien de Brandon qui tartine lui la plâtrée de Treble, celui-ci gardera un œil avisé sur son pedalboard toute la soirée. Pendant que Brandon gardera la rythmique en ligne de son Jazzchorus et en viseur le public, avec qui il multipliera les échanges.

Échanges malheureusement pas toujours des plus audibles. Alors on a beau être bilingue mais un micro blindé de reverb et d’écho en terme de compréhension on a fait mieux mais la communication fonctionne. Comme pour Eut, même combat sur la table de mixage. Bien que les titres soient évidemment reconnaissables au premier coup d’oreille, on a eu du mal à cerner la voix de Brandon lors de cette première moitié du set qui ne ressortait d’une part pas du mix et tout simplement correctement des HPs, une sourdine avalée dans la distorsion. Le tout s’est amélioré le long du set et on a eu la « bonne idée » de reculer derrière la régie-son pour voir l’ensemble en détail et apprécier le tout sous une autre perspective et là, on se rassure c’est déjà plus aéré ! On savoure enfin, le tabassage durera jusqu’au rappel.

Sur scène le duo aborde ce soir un fond de teint plus brouillon, plus punk et mur de son qu’à l’accoutumée. Crocodiles c’est un nuage de fumée aussi présent que la reverb dans le mix. Une ambiance de tournée qui s’apparente à ce que l’on peut voir dans le clip d’Endless Flowers, une paroi fumante façon « à défier les machines à fumées » de The Jesus And Mary ou d’Interpol. Un engin brut, violent mais qui vous caresse. Une forme de Shoegaze qui ne s’est pas marié à l’élitisme et assume ce côté Punk Adulescent, attention loin du cliché à la Blink182. Plus en crise identitaire et amoureuse, pleins de doutes et d’inspirations 60’s et psyché, sans pour autant ressembler à un simili du B.R.M.C., moins bluesy mais qui ne laisse aucun doute planer sur ses origines West Coastienne.

La fin du monde, l’insomnie, les relations humaines et amoureuses, le spectre de la mort rodent autour des lyrics dans une ambiance planante, parfois gelée.  Un vaste univers sombre, loin de l’idée que l’on peut se faire du cliché californien, guitare à la main entrain de reprendre du Beach Boys sur les plages de Venice Beach. Pourtant ce côté Surf demeure dans le son des guitares. Là, on vous parle de trucs poisseux, genre garage ou « cave de l’amour », froid mais pas hostile ou non-accueillante. Plutôt un abri anti-atomique, en mode concert post-apo’.

Proche des Raveonettes et bien évidemment des Dum Dum Girls, le concert nous a rappelé finalement la philosophie de fond et l’ambiance du concert des filles avec DeeDee au micro dans cette même salle du Club il y a quelques années. Un bon souvenir. Bref les deux savent aussi très bien s’entourer des bonnes personnes depuis un paquet d’années et il est franchement plaisant de voir un groupe de ce gallon, et à la bouteille épaisse signer sur un label de chez nous.

Après une bonne heure de set, le groupe quitte la scène tranquillement alors que depuis une  dizaine de minutes les premiers pogos ont démarré à la surprise de nombreux dans la salle. Les quatre garçons reviendront bien évidemment sous les applaudissements dans une salle plus que bien remplie pour une date en semaine pour effectuer le rappel. Deux titres, et des bons gros titres qu’on attendait justement avec I Wanna Kill et surtout peut-être le plus gros hit du groupe, Mirrors. Une bonne dose de transpirations dans le bas du dos pour les plus sautillants dans la fosse et un dernier baroud d’honneur pour le groupe avant de quitter la scène pour de bon.

In fine, le croco’ vieilli donc plutôt bien et a toujours les crocs ! Loin de se voir finir en sacs à main, Crocodiles trace son chemin en tentant de nouvelles routes européennes avec un nouveau label mais garde son essence, sa gazoline spirituelle et ses thématiques fétiches sans trahir son identité. Un concert qui ne surprendra personne connaissant les boys, sans doute pas le meilleur de cette tournée de par les problèmes techniques mais qui place toujours le duo dans un jus, une mouvance Noise inclusive et généreuse. Une shoegaze qui né déroute pas et ne cherche pas à cacher son amour pour la pop, et l’amour tout court.

La Setlist :

Côté Setlist,  la part belle de cette tournée faisant bien évidemment écho à la sortie du nouvel album, une place d’honneur a été laissée aux tracks de Love Is Here avec pas moins de 6 chansons, une sélection plutôt habile de celles-ci. Autre album bien présent, Crimes Of Passion avec notamment Teardrop Guitar, Marquis de Sade et She Splits Me Up. Côté des absences on notera surtout quelques pistes notables qu’on aurait aimé ré-entendre justement de Crimes Of Passion ou les excellentes reprises du groupe. Enfin et à mentionner, l’oubli (volontaire ?)  de l’album de 2015 plus « Pop et électronique » Boys qu’on avait pourtant bien apprécié à l’époque de sa sortie.