Conférence de Presse / Interview : Future Islands

Deuxième rendez-vous à l’espace Presse du fort de Saint Père avec l’un des groupes Pop phare du label 4AD, les tout en gentillesse et bonhommie membres de Future Islands.


Formé initialement à Greenville dans l’état de Caroline du Nord en 2006, c’est véritablement suite au déménagement deux ans plus tard de la formation à Baltimore dans le Maryland que le groupe prends ses marques avec un premier album « Wave Like Home » paru chez « Upset The Rythm ». Succès discret, ce n’est qu’à partir de leur 3ème album que le solide trio de base composé de Gerrit Welmers aux claviers, William Cashion à la basse et Samuel T. Herring au chant, se professionnalise et démarre une tournée en dehors des Etats-Unis.

A la suite de leur signature sur le label 4AD, de la sortie de leur single « Seasons » et la fameuse prestation live enregistrée lors de Late Show de David Letterman qui est alors largement relayée par la suite sur internet, que le groupe se fait connaître sur la scène internationale. Le tube qui sera par ailleurs primé comme « meilleure chanson de l’année 2014 » par le célèbre Pitchfork, autre acteur et influenceur majeur autour du groupe.

Le groupe a fini sa tournée d’été en Europe mais ils reviendront pour trois dates en Province à la fin de l’année afin de soutenir la promotion de  leur dernier album en date, « The Far Field », paru au tout début de cette année sur le label 4AD. Ils seront à la Laiterie de Strasbourg le 16 Novembre, à l’Epicerie Moderne à Feyzin le 17 ainsi qu’à l’Aéronef de Lille le 18.


Question ? Vous êtes dans le milieu depuis un moment mais vous êtes vraiment devenus « populaires » depuis la sortie de votre album « Singles ». En quoi le succès de Singles à changer vos vies, votre quotidien ? Comment gérez-vous le fait de passer d’années d’ombres à la lumière presque du jour au lendemain ? 

Sam : Je pense que les plus gros changements sont vis à vis des opportunités qu’on nous offre. Je sais que ça va sonner cliché mais quand tu galères et que tu cherches à te battre pour ton rêve et à persévérer dans quelque chose en quoi tu crois profondément, tu n’as aucune opportunité qui s’offre à toi dans ces moments là. C’est seulement une fois que tu as accédé à un certain statut que les personnes du business veulent bien d’un coup te donner des fringues, des chaussures et veulent que tu utilises leurs matos. Et tu es là à te dire « Mais ou vous étiez quand on avait vraiment besoin de vous » ?

Mais en même temps de par notre long parcours, on est capable de ne plus rien prendre pour acquis. On a l’impression d’avoir finalement mérité ce qu’on reçoit et les éloges qu’on peut nous faire semblent mérités de juste manière, légitimités de par le travail et les galères qu’on a pu avoir. Ce qui ne se dit pas en règle générale… On a des tas de potes qui sont d’excellents musiciens mais qui ne font plus de musiques car c’est très dur d’arriver à une exposition comme la notre. Il y’a des gens qui pensent qu’on est chanceux d’être arrivé à ce niveau d’exposition et dans les médias, le business de la musique, tu n’as pas nécessairement besoin d’être un bon artiste pour être « le meilleur ». Et c’est quelque chose de délicat, nous on vient du DIY (Do It Yourself), on a lutté pendant des années sur la scène Punk, on a ce truc…

Ce n’est pas pour dire que c’est une mauvaise chose mais les gens pensent d’une autre manière. Si on avait eu cette même opportunité à 25 ans, on aurait approché la chose différemment car on avait à cette époque une compréhension différente de ce qu’on faisait. Et si on nous avait donné cette chance à 21 ans, je ne sais pas…Je pense qu’on aurait eu de gros ennuis, parce que je n’étais pas assez mature pour gérer ce genre de pression. On a trouvé le succès dans la musique bien avant la sortie de « Singles ». C’est à partir du moment ou on a pu commencer à payer nos factures, nos loyers vers 2009, 2010. C’est ce qui nous a vraiment fait ressentir le succès. Parce que ça n’a jamais été un objectif pour nous de devenir un gros groupe, on voulait simplement être capable de jouer notre musique et d’en vivre. C’était la chose la plus importante, donc « Singles » est en fait juste une autre étape.

Q ? Votre performance au  Late Show de David Letterman a été un élément déclencheur avec un nombre de vues assez incroyable sur youtube. Si le talent est bien sûr présent, êtes vous conscient qu’à l’ère digitale vous avez besoin de ce genre de choses pour percer et attirer l’attention des gens ? Ce à quoi beaucoup de groupes luttent actuellement pour, car il y’a tellement de vidéos que c’est compliqué de se démarquer ?

William : On a vraiment été chanceux de pouvoir s’y produire mais avant ça on avait aucune préconception de ce qu’on allait faire, on a pas essayé de créer consciemment ce « moment ». On voulait juste jouer notre musique de manière honnête en y allant avec notre essence et ce qu’on délivre en tournée depuis 2006. Je pense que pour un tas de groupes…Enfin je ne sais pas si c’est vrai mais les gens ont le sentiment de devoir créer des moments « mémorables » plutôt que de devoir de se concentrer sur l’écriture ou leur tournée et laissent finalement les managers, la presse dire qu’est-ce qui est magique ou non. 

Q? Pouvez-vous nous parler de votre environnement ? De Baltimore ? De la scène musicale là bas et de l’impact qu’elle a eu sur votre musique ? 

Sam : Je pense que quand on a emménagé en 2008 et à l’époque on était tous des musiciens fauchés avec le rêve de devenir des « artistes »… On a déménagé là bas car nous avions un tas d’amis qui faisaient de la musique, qui tournaient et avaient des jobs en parallèle. Baltimore est une ville ou on peut vivre pour pas chers. A l’époque j’ai du payer quoi…200 dollars le loyer par mois quand je vivais dans une maison avec sept autres personnes. Donc ça te permets d’avoir la possibilité de travailler 2 jours par semaine et de bosser le reste du temps sur ta musique. A l’inverse de New York ou là tu dois avoir deux jobs pour pouvoir te payer le luxe d’être dans une scène musicale avec des opportunités.

Quand on est arrivé là bas ça a été un gros choc culturel. On a grandi dans des petites villes de Caroline du Nord ou personnellement je vivais dans une maison dont je n’avais pas les clés et je ne verrouillais jamais la porte de ma voiture, non pas qu’il y’avait quelque chose à voler mais c’est pour l’exemple. La à Baltimore, mes fenêtres du deuxième étage ont des barreaux. Qui va me cambrioler en passant par la fenêtre du deuxième étage ? C’est le genre de chose qui était étonnant mais le truc qui nous a le plus touché fut la nostalgie. Etre dans cet endroit… Baltimore est une ville difficile. Elle a une longue histoire tout comme celle des Etats Unis en générale, une histoire liée à l’oppression raciale, la fin de la guerre civile et de l’esclavage. Baltimore est comme un microcosme des Etats-Unis et cette ville force les gens à vivre dans certaines zones et en force d’autres à vivre dans d’autres endroits. Ce sont les même prégnances raciales qui existaient déjà au 20ème siècle.

Et je pense que ça en dit long non seulement sur Baltimore elle même mais aussi sur l’Amérique. Ces choses qui nous étaient invisibles en Caroline du Nord ou du moins, moins apparentes. Je parle de la survie de ces gens. Baltimore est une ville meurtrière, une ville criminelle mais tout ça vient de la pauvreté et la pauvreté vient de l’oppression. Et cette pauvreté mène les gens à faire des choses, tu dois nourrir ta famille donc des fois tu n’a pas le choix, tu dois te tourner vers la criminalité. Il y’a des gosses en prison pour des condamnations légères ou lourdes pour de la possession de drogues, des vols ou des braquages. Ce genre de choses nous a fait peut-être peur, surtout au début. Mais on adore tous Baltimore, c’est une énorme partie de nous-mêmes.

Ce que j’essaye de dire c’est qu’être au milieu de cette souffrance, cette lutte ou on galère nous aussi, ça c’est vraiment infusé dans notre musique. Ca me rappelle un peu le Manchester des années 1980′, le New York des années 40 ou 50′ et les scènes artistiques qui sont sorties de tout ça. Le Hip-Hop dans les années 1980′ qui a émergé de ces vastes zones de depressions, de lutte, sous une forme d’art. Parce que les gens ont besoin d’un échappatoire, ils sont à la recherche d’un rayon de lumière donc d’une manière ou d’une autre, Baltimore nous a vraiment affecté parce que c’est notre maison…

Q? Il existe une réelle charge émotionnelle qui se dégage de vos morceaux, est-ce volontaire ? Quelles sont les inspirations derrières vos paroles ?

Sam : J’ai grandi le long des côtes de Caroline du Nord. Quand on vient d’une petite ville ou il ni y’a pas grand chose à faire, on communie beaucoup avec la nature étant petit. On s’assoit devant la mer, on marche dans les bois. Ce sont des sujets sur lesquelles je chante encore, tout provient de cette réserve à souvenirs de mon enfance. Le mot « Nostalgie » est ce genre de mots qui peut aller dans deux sens opposé, ça peut être bouleversant comme joyeux. Mais je pense que mes paroles proviennent d’un tas d’endroits.

Le titre de notre dernier album « The Far Field »  vient d’une oeuvre posthume de Theodor Roethke (Poète américain du 20ème siècle) que j’ai découvert quand j’avais 12 ans. J’avais volé le livre à la librairie de mon école parce que j’étais trop embarrassé d’emprunter un livre de poésie, donc je l’ai volé … j’étais un trou du cul ! (rires) Oui, je suis tombé amoureux de la poésie dès l’âge de 13 ans et je suis tombé amoureux rapidement après de la musique Hip Hop. Et à travers ça, j’ai commencé à écouter les disques de mon frère et à rembobiner les chansons pour écrire sur papier les paroles. En retranscrivant les paroles de De La Soul, Krs-One j’ai pu apprendre par moi-même et j’ai commencé à écrire des versets Hip Hop ou Rap vers l’âge de 15 ans alors qu’en même temps, j’étais un gamin un peu malheureux, dans une phase gothique, qui se cherchait. Je n’étais pas vraiment « Gothique » d’un point vue extérieur mais à l’intérieur, j’écrivais des trucs vachement dark !

Donc la poésie et le Hip Hop ont grandi en moi dans via des directions différentes. Je lisais de la poésie afin d’explorer mon côté émotionnel. Alors que de l’autre côté j’écoutais du Hip Hop afin de me forger une forte personnalité. J’écrivais des lyrics pour des Battles de Rap tout en ayant personne avec qui rapper contre. C’était pour me sentir puissant, avoir quelque chose qui m’accompagne, avoir l’impression d’avoir quelque chose de spécial. Donc tout ça est resté et a grandi en même temps dans une phase de création quand j’ai commencé à avoir 18 ans et donc la première fois ou j’ai commencé à chanter dans un groupe.

Toutes mes paroles dans  « Future Islands », enfin je dirais 90%, sont autobiographiques ou issues de ma propre existence car je pense que c’est important d’être honnête avec nous mêmes et avec les gens en dehors. La pierre angulaire de Future Islands c’est la sincérité, si ce n’est la passion. Mais la passion vient du fait d’être sincère et de qui tu es, ce que tu fais et ce que tu as fais, ce que tu mérites et ce qui te permets de comprendre ta situation et de transmettre tout ça aux gens pour qu’ils puissent penser aussi bien « je ne suis pas seul » ou apprendre quelque chose de tout ça… Ouai je parle de choses émotionnelles ! (rires).

La chose importante est de pouvoir être dans l’émotion mais d’être fort aussi. D’être capable de rire entre deux chansons, parce que la vie n’était pas toujours morne. Tu ne peux pas juste te plaindre, tu dois aller au delà des choses. Je ne suis pas quelqu’un de religieux mais des fois tu dois regarder au dessus du ciel, c’est un combat dans les cieux. Il y’a tellement de choses magnifiques qui existent dans ce monde, en dehors de toutes les conneries des politiciens. L’amour c’est compliqué, mais aimer quelqu’un c’est de l’or. Il faut mélanger cette tristesse mais c’est important de l’embrasser, d’être honnête avec toi même. 

 

Une bonne demi-heure après leur arrivée, le groupe doit repartir en loge afin de préparer leur show du soir sur la Grande Scène du Fort. Tout comme lors de son interview, Sam le leader et chanteur du groupe déploiera par la suite avec brio sa large palette de pas de danse, des émotions à coeur ouvert mais aussi et surtout son passé d’ado gothique avec des séquences gutturales aléatoires et exclusivement réservées aux prestations scéniques du groupe. Un moment de grace que nous résumerons bientôt dans notre Live Report de cette deuxième journée de l’édition 2017 de la Route du Rock.

Site officiel du groupe :  www.future-islands.com

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